La Peinture amoureuse

La Peinture amoureuse

Par Michèle Malivel
Institut Français de Maurice – Mai 2013

En peinture, bien souvent, la femme incarne la beauté. Mais qu’est-ce que la beauté » une promesse de bonheur » selon Stendhal. De là nait la relation amoureuse. Cela commence par la fameuse « cristallisation » qui suscitera en vous un manque et de ce manque nait le désir. La peinture va donc imaginer la femme comme objet de désir. Cela commence par le graffiti, écriture des passions confuses, des impatiences. Ils prolonge le mot, précède l’image.

Il est le plus court chemin qui mène du désir vers son objet. Il est l’origine de l’art ! Une des formes de la peinture, c’est l’expression du désir que les censeurs vont longtemps contenir. 

Puis on passera à l’acte après bien des préliminaires pour finalement exprimer les lassitudes des années et des habitudes.

Avant d’être un objet, la peinture était étroitement associée à l’environnement. Elle était l’ornement de la volupté de la vie du praticien de l’antiquité : c’était le cinéma intime de ses rêves de débauché !

Tournons nous maintenant vers l’Italie. Les romains ne cachaient rien de leur sexualité.
Ainsi donc, à Pompéi, on a trouvé une maison qu’on a appelée « le grand lupanar » en raison des inscriptions osées trouvées sur les murs et de certaines représentations comme:

Le catholicisme jettera un voile pudique sur la chair à la fois tentante et offerte.
Le Moyen Age met l’accent sur la cour d’amour. La femme, restée au domaine, descend dans le jardin, petit mais précieux fait de buis et de plantes rares. Les troubadours, porte voix des rêves, se déclarent, un genou en terre. Les mots sont des poèmes charmants. Point n’est besoin de représenter l’amour accompli : on ne voit que l’espoir. Elle est une fleur parmi les fleurs…D’ailleurs on a l’impression que son amour est plus spirituel que charnel.

Plaisir d’amour : l’amant à la porte de la demeure
L’émergence des forces amoureuses sera occultée aussi longtemps que la peinture servira à exalter les valeurs collectives et la religion va prédominer, monopolisant la peinture à son seul usage. Pourtant, maintes « vierges à l’enfant » dissimulent des compagnes, des maîtresses et des servantes qui sont offertes à la piété des foules ! C’est une histoire d’amour qui s’enferme dans une idéalisation du corps….

AGNES SOREL en Vierge Marie

Elle dévoile son sein, qu’elle a fort beau, avec une aimable candeur. Le geste maternel est ici un geste de défi. Le règne de la favorite passe par la lecture ostentatoire de sa beauté.

Véritable pomme d’amour, son sein est le fruit défendu des amours royales offert à la convoitise des courtisans.

Plus équivoque

LE PERRUGIN ST SEBASTIEN
le thème du martyre de St Sébastien propulse à foison des adolescents équivoques se pâmant sous la douleur ! Alors même que la femme est voilée même si elle se love dans les plus suaves abandons, l’homme est exposé dans les plus avantageuses nudités, les plus équivoques. Le regard religieux porté sur l’homme est de nature homosexuelle.

LA FORNARINA
Lorsque Raphaël peint au début du XVIIème siècle, l’Eglise se relève tout juste du scandale des Borgias où les prélats se livraient à toutes sortes de turpitudes. Prise de remords, l’Eglise entend imposer une silhouette de femme souple mais pudique et maternelle alors que la grâce équivoque des jeunes pages fait vibrer les despotes séniles et impudiques.

Si sublime qu’elle soit, la peinture de Raphaël, même si elle met en scène des dames qu’il honorait, reste un peu froide…. Même si son regard et son sourire sont une sorte d’invite !

LA JOCONDE
Le sourire de la Joconde est l’arbre qui cache la forêt. On l’avance comme une idole de la perfection alors qu’elle n’ose pas afficher son sexe. L’indéfinition de son sourire prête lieu à d’infinies interprétations. Il est de notoriété publique que Léonard n’était guère porté sur les femmes.

Le caractère particulier de la Joconde est qu’elle est une émergence d’un très vieil héritage de savoir, de sagesse désabusée dans le corps d’une femme feinte, d’un homme supposé, dans l’unité fondamentale à laquelle aspirent tous les chantres de l’androgynéité.

Cette Joconde, peinte par amour, est une figure codée, peut être même mystificatrice, ne pouvait que séduire ceux qui cherchaient à détecter dans la peinture autre chose que ce qu’elle montrait parce qu’il savait que la peinture pouvait être truquée… Le chaste amour porté par le peintre à la Joconde, telle qu’il l’a représentée, n’est jamais que la fiction d’un gouffre qui s’ouvre à ses pieds !

La Renaissance affiche une impudeur tranquille… Le nu est l’affirmation de la femme dans tout l’éclat de sa splendeur. La femme est libre de son corps.

DIANE A SA TOILETTE
L’amour est une affaire de Princes

La chasse est au cœur de la vie de cour. Chasseur, le roi court sus à sa propre mort. Cette Diane au corps fuselé est nerveuse et garçonnière. Elle court les bosquets comme les animaux sauvages. Elle est le gibier qui s’offre pour mieux se dérober. Elle n’est pas une proie soumise, elle porte et bande l’arc qui tue. L’amour est ici un jeu fort cruel…

Soudain, avec le maniérisme un formidable souffle d’érotisme perturbe l’iconographie chrétienne. Dépouillé de l’attirail religieux, le corps reprend vie pour ce qu’il est : grâce et défi. Tensions, pâmoisons et extases, il devient le corps de la concupiscence.

DEUX FEMMES À LA TOILETTE

Diane de Poitiers et sa soeur

FEMME ENTRE DEUX AGES

Quels sont donc ces deux âges à l’époque où 30 ans était le début de la fin?

Elle ne se prive pas d’exercer ses charmes, impudique et mutine, jouant les jeunes

femmes. Mais qui est cet homme élégant ? Nous n’en savons rien :amant ou client?

Pour exalter la femme, la peinture va se tourner alors vers la mythologie.

LE CORREGE : VENUS, SATYRE ET CUPIDON

Vénus se prête donc aux exhibitions flatteuses. La peinture, amoureuse, mettra autour d’elle les figures les plus chargées de forces fantasmatiques. Les élans amoureux ne sont pas pervertis par des interdits. Dans cette accumulation de corps, l’attrait de la chair les porte à s’unir, à se fondre. Lorsque la nymphe est face au satyre… le viol n’est pas loin et l’amour l’admet presque comme s’il était lassé de trop justes caresses et voulait être renversé dans un élan fougueux.

En Hollande, par contre, la femme est une compagne et non une proie ! Dans ce monde pieux et mercantile, si le corps triomphe c’est dans l’exaltation du couple.

VAN EYCK LES ARNOLFINI

La jeune fille est tenue de la main gauche, l’amour a ses préséances, elle n’est pas de la condition de son mari, on ne peut pas parler d’amour passion.

VERMEER L’ATELIER DU PEINTRE

Ici les vertus domestiques triomphent de l’exaltation des corps. L’amour de la famille devient un phénomène régulateur, enlevant à la femme sa sensualité ravageuse, parfois sauvage et brutale, participant d’élans obscurs… On n’est pas loin de l’ennui !

VELASQUEZ LA VENUS AU MIROIR

Cette pose alanguie et cette hanche somptueuse, cette peau au grain tendre et frissonnant, la courbe suave des reins est moins le triomphe de la chair qu’une sorte d’interrogation. C’est la volupté, certes, mais elle est marquée par la menace d’en perdre, irrévocablement, le pouvoir.

Maîtresse du Roi, splendeur du moment, elle sait qu’elle sera bientôt enfermée au couvent : personne ne pouvant plus toucher ce que le Roi a honoré !

L’art des jardins s’accorde à l’idée qu’une société se fait de l’amour, il en est le cadre idéal ! Le XVIIème siècle lui préférait la gloire, c’est Versailles du Roi soleil, le XVIIIème met en avant la volupté.

L’art de Watteau n’est qu’un caprice. Il n’aime pas la femme, mais les grâces qu’elle distille.

VOYAGE A CYTHERE

C’est une musique exquise. On s’effleure à peine, on se fait des agaceries sur ces berges. La femme n’est amoureuse que d’incertitudes et de la grâce du temps suspendu. Ici les femmes ne sont plus déesses, elles sont elles mêmes, sublimes d’être si fragiles. C’est un espace imaginaire qui est réservé à l’amour, peut être pour assurer sa pérennité. Le territoire de l’amour est toujours ailleurs…

La femme de Boucher est une femme de salon, elle n’est pas loin de la prostituée, son amour est vénal, la femme de Fragonard est une femme de soupente, une midinette qui ne boude pas son plaisir

FRAGONARD LA CHEMISE ENLEVEE

C’est le côté fripon du XVIIème siècle. Il y a là une notion de plaisir avoué, d’une impudeur insolente et juvénile ; Fragonard préfère les soubrettes. C’est le déshabillage qu’il peint, ce prologue d’un plaisir que l’on devine, d’une extase qu’on attend, la notion de pêché rôde pourtant…

Parce que Rousseau est à la mode et qu’on avait pleuré à la lecture de la Nouvelle Héloïse,

les pastorales font fureur, les reines jouent aux bergères. Délaissant les rois sur leurs trônes elles leur préfèrent des princes de passages déguisés en bergers. La peinture est pleine de ces images d’amour faussement champêtre.

BOUCHER LE NID

Les nus de David, participant à la rigueur civique, oublient d’être désirables.

DAVID PARIS ET HELENE

La sensualité avouée, agressive, reste l’apanage d’une société qui abuse de ses droits et s’adonne à tous ses plaisirs dont celui d’afficher une insolente beauté

GOYA LA MAJA NUE

La quête de Goya passe par l’amour de la femme. Ce tableau, appliqué et fort, à la sensualité douce presque fière, est l’image de l’amour qui anime le peintre. Son pinceau, d’habitude si rapide, a pris la lenteur d’une caresse. La ligne s’est faite onctueuse, le corps est saisi dans toute sa splendeur, On sent la complicité tranquille mais sensuelle qui règne entre eux. Elle a la grâce licencieuse des confessions intimes où perce, derrière l’aveu, la conscience aiguë de la fragilité de tels instants.

Sade a régné en maître sur les consciences de la fin du XVIIème siècle, le romantisme nous plongera dans le roman « gothique » où la femme devient, telle la vierge médiévale, l’incarnation d’une pureté vers laquelle on tend. L’âme ardente se plait aux remous d’un amour contrarié, aux menaces d’une nature indomptée. Dans cette littérature venue d’Angleterre, les châteaux sont sombres et hauts et les murs épais. L’enfermement sera l’articulation du sacrifice de sa vertu : c’est la Belle au bois dormant qu’un jeune homme désintéressé et aimant viendra sauver

ANNA GRENWILL

Ingres, lui, voit le corps féminin comme la musique suprême de la réalité. Ce corps vu, regardé, contemplé, magnifié dans la splendeur absolue d’un présent éternisé.

LE BAIN TURC

C’est le champ clos du plaisir, le hublot d’un regard qui y conduit. Un idéal féminin s’y multiplie en attitudes, enlacements. C’est une image de voyeur, le regard par le trou de la serrure. Enfermées dans le spectacle qui les rassemble, qui les assemble, les femmes sont autant d’individualités qui s’additionnent dans une sorte de délire érotique, en attitudes provocantes, en abandons lascifs, en postures suaves.

Ingres a choisi le monde du bain collectif pour traduire l’éternité de la femme.

DELACROIX SARDANAPALE

La frénésie anxieuse des corps est portée à l’extase mais aussi aux spasmes de l’agonie. Les femmes ont l’allure ondoyante des flammes qui vont bientôt les consumer ; C’est l’embrasement de la mort et de la volupté confondues. Sardanapale se sait perdu, il fait donc tuer tout ce qui lui a appartenu. Rien de ce qui a servi à ses plaisirs ne devait lui survivre ; les chevaux se cabrent, les femmes se cambrent ; les reins se dessinent et se courbent sous l’effroi et la douleur. La femme est, ici, le plus somptueux animal sacrifié à l‘amour du faste.

LE SOMMEIL COURBET

Les amours saphiques sont à la mode

Ces deux femmes enlacées, jambes mêlées sont épuisées de plaisir et offrent complaisamment à la vue une chair satisfaite.

L’amour n’est plus un jeu. Il porte la marque maudite de la mort…

MANET L’OLYMPIA

Manet fait basculer la représentation de l’amour dans sa réalité la plus crue. Moins dans l’anecdote, qui relève de la grivoiserie, que dans l’identité des personnages qui sont désormais des êtres ordinaires qui s’affichent. Olympia est une fille de joie. C’est la porte ouverte aux amours livides, à la lumière blafarde des chambres minables. C’est la femme vénale dans l’exacte dimension de sa triste et mélancolique réalité.

Encore un instant de bonheur pour les femmes de Renoir.

DANSE A LA CAMPAGNE

Qu’elle danse au moulin de la Galette ou à la campagne, cette femme du peuple est fraîche et joyeuse. Un long frisson de plaisir court sur sa nuque, la rendant plus belle, plus lumineuse, plus désirable. Le tremblement de la lumière du bal l’aide à glisser vers un plaisir sain, tellement naturel qu’on ne peut s’y soustraire…

Puis s’impose la femme cachée, inaccessible

La passion est sauvage mais immobile et la beauté est froide. Aller à sa rencontre c’est aller au devant de sa propre mort.

KHNOPFF LES CARESSES

Dans le cliquetis des bijoux qui la parent, elle demeure inaccessible à la garde de la licorne

GUSTAVE MOREAU LES LICORNES

La fin de siècle nous mènera à la femme fatale.

L’amour mène en enfer.

FELICIEN ROPS DIABOLIS VIRTUS

Le diable est le maître du sexe dit-il reprenant St Augustin qui disait :

« La vertu du diable est dans les reins ! »

On applaudit le théâtre de boulevard fait d’amants furtifs et de placards complices.

GERVEX ROLLA

Familier des maisons closes, Lautrec croque l’impitoyable vérité de l’amour vénal

LAUTREC

Tandis que les plaisirs du bain transforment la nymphe en femme de plaisir

ALMA TADEMA AU TEPIDARIUM

Vienne se meurt. Dans le délabrement de l’empire la femme s’offre dans sa nudité la plus impudique

EGON SCHIELE NU FEMININ COUCHE

La femme vampire devient la prêtresse des plus hautes solitudes.

MODIGLIANI NU COUCHÉ DE DOS

Ses nus féminins sont longtemps considérés comme pornographiques, sont,en réalité, des images vraiment érotiques.

Il cadre le modèle comme un objet de désir et de possession. Sa disponibilité voluptueuse est renforcée par le décor sobre et aéré où le corps s’offre à la délectation du spectateur. Le regard, fixé vers le spectateur suggère une invitation. Malgré cette attitude sensulle qui fit scandale, elle demeure dans la tradition classique du nu féminin.

PICASSO LE BAISER

Picasso fait passer, ici, toute l’intensité des rapports du peintre et de son modèle. Il est l’écho de tous ses désirs : le rapt du peintre, le don du modèle .

MATISSE L’ODALISQUE AU GENOU LEVÉ

Il a été fasciné par l’orient et l’islam au cours de ses voyages au Maroc. le modèle, français ici, porte le costume provoquant d’une femme de harem qui s’offre,ici, dans un érotisme provocant.

Le XXème siècle préconise l’érotisme comme un art de vivre. L’élan dionysiaque est à la base de la vie sociale. A travers l’activité du plaisir, il retrouve sa véritable dimension, son identité.

DELVAUX LA VOIX PUBLIQUE

La femme de Delvaux est inaccessible. Elle semble sans désir. Son repos est une protection une armure…

MAGRITTE LES AMANTS

Les amants se cachent derrière des voiles escamotant leur désir.

BALTHUS

Rien n’est dit ici, sinon le poids insupportable du désir. La petite fille est lascive, trop juvénile. Le lieu est clos et le garçon, à demi nu, active la flamme. Elle est femme dans l’attitude, enfant dans la retenue qui la freine ; le jeu érotique est allusion : elle s’offre et se refuse, le corps caressé par l’ombre qui décline.

C’est le temps de Lolitas, de ces femmes enfants….

Avant que ne vienne le temps de la société de consommation où la femme est offerte, en vitrine, l’image de la femme perd son mystère et de son charme pour devenir l’icône convenue d’un érotisme commun, banal. L’affiche et les magazines en donnent une image glacée.

MAN RAY FEMME VIOLON

Ce soir, cependant, mesdames, je ne puis que vous conseiller de redevenir ce violon sensible qu’il appartient au violoniste que vous aurez choisi de faire vibrer…

La peinture ne veut plus être amoureuse !

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